Mon plus grand chagrin d'amour

 

Par la douce mélancolie d’une journée d’automne, je tombe et je succombe sous le poids d’un chagrin inapaisable,
d’une tristesse enfouie qui ne me quitte plus depuis des mois.
Je suis ici, seule, face au monde, face à la vie.
Seule, désespérément, seule.

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Il y a d’abord eu les angoisses. Le questionnement. Pourquoi agit-elle ainsi ?
Puis le choc. L’incompréhension. L’annonce de ce Jeudi 25 Juillet 2019, à 15h40.
La culpabilité. S’en vouloir de s’être emportée, ne pas avoir détecté ce qu’il y avait derrière le paraître, ce qui semblait être une petite déprime, un début d’anorexie, une hernie. Ne pas avoir su lire à travers tous les signes que tu nous envoyais durant tout ce temps. En un mois tout a basculé. Et en l’espace de trois jours, j’ai perdu ma maman. La seule, l’unique.

Je suis désolée pour ton anniversaire”, voilà ce qu’elle m’a dit en rentrant à l’hôpital. Elle le savait, moi non.

Qu’est-il advenu de ma vie, durant tout ce temps ? Il y a d’abord eu la colère, intérieure, brute et insolente. Devoir faire bonne figure devant tous ces gens dénués d’empathie. Devant tous ces gens qui ne comprennent pas, qui ne peuvent pas comprendre. Et encore moins ressentir ce que je peux ressentir.
S’en foutre de tout. De ces mots qui ne m’atteignent pas, de ces insupportables condoléances dont je ne sais que faire.
Vouloir être seule et en paix. Mais comment trouver la paix au milieu de ces angoisses ? Dans ma solitude malheureuse je me complais. Fuyant le soleil brulant de cet été inexistant. Un été balayé par le chagrin, le devoir de relever la tête, d’être digne et efficace dans cette claque qu’est la mort.

Il a fallu avancer, trop occupée par les formalités administratives, la gestion de l’après, et mon emménagement reporté, devenir propriétaire d’un appartement qu’elle ne connaîtra finalement jamais, l’été a filé si vite, mon esprit tellement occupé que je n’ai pas eu le temps de réaliser, pas eu le temps de digérer et d’affronter réellement ce qu’il se passait. Une sorte de déni dans lequel je me complaisais. Avoir trop de choses à penser et à faire a été la meilleure excuse que je me suis trouvée en quelque sorte pour éviter d’affronter la réalité.
Et puis il a fallu reprendre le cours de sa vie, reprendre le travail et avec lui de nouvelles angoisses. Retrouver une vie sociale après la perte d’un être cher est quelque chose de complexe. Devoir dire bonjour, sourire, et répondre aux incessants “Comment ça va ? Comment tu te sens ?” est la chose la plus difficile qui soit depuis trois mois. Comment voulez-vous que ça aille, sérieusement ?
Ça va mal, très mal. Mon sourire est en berne et je vis désormais dans le corps d’une personne triste, voilà ce qui m’incombe, voilà qui je suis désormais, et tous les jours de ma vie depuis ce 25 Juillet.
J’essaie de le masquer, d’éviter le sujet pour ne pas crouler sous les larmes, mais non, ça ne peut pas aller, et ça n’ira plus jamais, mais c’est comme ça, c’est la vie, et elle a décidé de faire de moi une orpheline.

Je me suis laissée emportée, submergée, dévastée.
Ce que l’on appelle ‘la vie’. Cette vaste mascarade qui nous laisse pantois.

Longtemps je me suis tue, et pourtant, longtemps j’ai eu envie de reprendre la plume, mais le temps a filé et il ne m’a pas laissé de repos. Et pourtant j’en avais des choses à écrire, des mots retenus, de la colère, de l’incompréhension, du chagrin qui avaient besoin d’être étalés sur du papier. Je ne me souviens plus vraiment de ce que j’avais à dire, mais je sais que cela m’aurait fait du bien, de me confier, je n’attendais que ça, écrire. Écrire et lire sont devenus mes seuls plaisirs, ces derniers mois, être seule, en tête-à-tête avec moi-même, face à ma solitude est mon unique envie.

Déverser mon chagrin par les mots, m’évader dans des romans. Ma vie suspendue à ton retrait hors de ce monde a fait découler beaucoup de choses. Une vie bouleversée, un vide constant qu’il me faudra désormais accepter. Devoir vivre brisée, avec une part manquante.

J’ai toujours été attristée par les décès de proches ou moins proches, j’ai toujours eu de la compassion, du chagrin. Mais je ne savais pas. On ne peut jamais savoir. Ressentir vraiment, tant que cela ne nous est pas arrivé directement. Et on a beau éprouver autant d’empathie que possible, on ne peut pas savoir tant qu’on ne le vit pas soi-même.
J’aurais préféré ne pas le savoir, jamais.

Amour de ma mère, à nulle autre pareil.
— Albert Cohen